LE CUEILLEUR DE LETTRES
Texte dit par Hélène Aviotte-Daurel :
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Tom était un petit être.
Il souffrait beaucoup. Son corps était recouvert de tâches jaunes qui lui mangeaient la peau. Ces parasites, appelés émoticônes, provoquaient à terme la paralysie de tous les doigts sauf l’index ; celles ou ceux qui en étaient atteints ne pouvaient plus s’exprimer que par le langage basique de pictogrammes en cliquant de leur doigt valide. Sa vie était devenue un enfer et il faisait tout à l’envers. Il marchait sur les mains tellement ses pieds le brûlaient. Son handicap lui interdisait de travailler et l’avait plongé dans la tristesse et la pauvreté…
Tom était cueilleur de lettres.
Tom pleurait…
Comme il se promenait un dimanche à Fleury, il passa devant un champ de lettres. Louise et Pierrot, les deux jardiniers étaient en train d’y travailler. La terre claire était finement ratissée et les sillons parfaitement rectilignes et parallèles traçaient de fines lignes bleues. Ils œuvraient avec un tel amour et un tel soin qu’on entendit un petit oiseau, qui survolait le champ, s’écrier : « On dirait une feuille de cahier d’écolier ! » ; c’était un oiseau-lire [L.I.R.E.]..
Louise et Pierrot aperçurent Tom et virent qu’il pleurait. Ils lui firent signe de s’approcher, ce qu’il fit tant bien que mal. Tom leur raconta son histoire et ils en furent bouleversés. Ils cueillirent six lettres et lui offrirent : un P, un O, un É, un S, un I et un E. Ils déclarèrent à Tom que ces lettres étaient dotées d’un pouvoir magique et lui rendraient la joie de vivre. Tom fut très ému et les remercia. Il rassembla les lettres en un petit bouquet et rentra chez lui…
Il prit un joli vase de cristal, le remplit d’eau claire et y plongea le bouquet. Instantanément, des dizaines de lettres se mirent à éclore sur chaque tige. Chaque fleur prit la forme d’un prénom : François pour l’une, Suzanne pour l’autre, Dominique pour celle-ci, Nathalie pour celle-là, et encore Anne ici, et puis Jean-Luc par-là, et Yves, et Yann, et ensuite Lydia, puis Didier à la suite, puis Christian, et encore Hélène et Monica…
Cette éclatante gerbe de prénoms l’envahit de bonheur…
Tom riait.
La prophétie des deux jardiniers magiques, Louise et Pierrot, venait de se réaliser. Sa peau était de nouveau blanche immaculée. Les émoticônes avaient disparu. Il avait retrouvé miraculeusement l’usage de ses doigts. Il marchait de nouveau sur ses pieds. Et ses pieds se mirent à danser en dessinant des vers qui formèrent des rimes…
TOM venait d’écrire son plus merveilleux poème.
Sa vie s’était remise à l’endroit et même son nom. TOM [T.O.M.], le cueilleur de lettres, s’appelait en réalité MOT [M.O.T.].
Il fut celui de la fin.