FREDDY MOUSSA
La cité des trois arbres est grise de béton.
Pour verdure y-a qu’trois arbres et un bout de gazon.
L’oisiveté est reine au quartier de l’ennui.
Les mecs gagnent leur pognon en dealant de la drogue
Ou tuent l’temps à s’frapper féroces comme des dogues,
Désoeuvrés, oubliés d’une banlieue vert-de-gris.Mais il’y’a Fred Moussa,
N’aime pas qu’on l’appelle Mouss
Exige qu’on l’appelle Muss
Personne ne sait pourquoi
Il marche chaque soir autour du bout d’gazon
Et inscrit des secrets sur chacun des trois troncs.
Poète romantique, il cherche l’inspiration,
Les yeux dans les étoiles, le nez vers l’horizon.
Je m’suis confiée à lui, en grosse galère un jour,
Larguée par mon keumè pour qui j’en kiffais grave.
Fred m’a réconfortée, m’a sauvée du naufrage,
Dit qu’on n’badinait pas comme çà avec l’amour.
Ses paroles sont des fleurs
Qui parfument nos coeurs
Quand l’un de nous dérape
Quand l’un de nous déprime
Il chante des mots qui riment
Qui consolent et qui rappent
Il ne parle pas comme nous, il ne répond qu’en vers,
Et pourtant notre langage ne semble pas lui déplaire.
Il pense que nos cultures sont très complémentaires,
Que nos couleurs mêlées brillent comme un arc-en-frère.
La ziepoé, c’est quoi? demanda un bouffon.
La poésie, dit-il, c’est, d’une fine vibration
Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,
Et pour que cela rime, faire une perle d’une larme.
Ses paroles sont des fleurs
Qui parfument nos coeurs
Quand l’un de nous dérape
Quand l’un de nous déprime
Il chante des mots qui riment
Qui consolent et qui rappent
J’ai marché l’autre soir autour du bout d’gazon
Et me suis arrêtée devant l’un des trois troncs.
Ce que j’ai lu alors m’a saisie d’émotion,
Il y était gravé ces deux lignes et son nom :
La ziepoé, cette guelan que sonneper ne lepar et que tout le demon prendcon.
La poésie, cette langue que personne ne parle et que tout le monde comprend.
Alfred de Musset alias Freddy Moussa
Depuis, dans le quartier, il n’y a plus de baston,
Les yeux dans les étoiles, le nez vers l’horizon,
Nous cueillons les doux fruits de la fraternité
Aux branches des trois arbres de notre belle cité.
Nos paroles sont des fleurs
Qui parfument nos coeurs
Quand l’un de nous dérape
Quand l’un de nous déprime
On chante des mots qui riment
Nous consolent et qui rappent…